A quoi penses-tu, toi, notre Marianne nationale ?

 

Combien tu parais lointaine alors que tu es née sur cette bonne terre de France ! Peut-être rêves-tu de n’être, un jour, qu’une donzelle anonyme, pareille à ces jeunettes, coquettes et coquines, qui rosissent à l’ombre des tonnelles !

 

Hélas… en fait d’enfance insouciante, tu as grandi façonnée de colère, d’amertume, de frustration, te grimant d’espoir, de revanche, d’émancipation. En fait de laborieuse paysanne ou de minutieuse couturière, de mère aimante ou d’amante passionnée, tu t’es éveillée, un matin, abstrait symbole aussi immatériel qu’insaisissable baptisé République.

 

Et depuis… De combien d’hommes as-tu enflammé l’esprit ? Combien se sont perdus dans les dangereux méandres de tes constitutions sans cesse reconstruites ? Combien t’ont assassinée sous prétexte de te faire renaître plus grande, plus juste et plus forte ? Que n’en a-t-on brûlé, en ton nom, d’espérance et de raison sur le bûcher d’idéologies exaltées !

 

Et toi, Imperturbable, tu regardes tanguer de Charybde en Scylla tout un peuple dont les rêves de liberté, d’égalité, de fraternité ont depuis longtemps fondu comme neige au soleil.

 

Mais, sais-tu qu’ainsi, tu as un port de Reine ? Ton bonnet phrygien domine bien des couronnes, tu affiches ta  cocarde ainsi que fleur de Lys, et ton étole tricolore vaut bien un manteau doublé d’hermine… D’ailleurs, telle une nouvelle Agrippine, tu sièges, hautaine, sur un imposant trône de roche taillée.

 

Apparemment, rien ne vient jamais plisser ton front serein. Ni le froid, ni la faim, ni le mal à vivre que subissent tant et tant de ceux qui, en toi, espèrent. En dépit de tous ces appels, ces gémissements qui montent vers toi, aucune inquiétude ne paraît nouer ta gorge d’angoisse, aucune prémonition ne semble alerter ton âme… A croire que, au fil du temps, elle en est devenue inhumaine.